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Un compte-rendu de Louise Ralet sur la rencontre avec Lucile Gautier, Frédéric Hainaut, Mathilde Chèvre leur éditrice, et animée par Anne-Lise Remacle

Table ronde : Le port a jauni
Mathilde Chèvre, Lucile Gautier et Frédéric Hainaut autour d’une table ronde, qu’est-ce que ça donne ? Le port a jauni édite des albums, des livres sonores et de la poésie mais une particularité lie tous les ouvrages proposés : l’idée de bilinguisme français-arabe. Le voilà le fil rouge – ou plutôt jaune – qui tisse un nœud autour du catalogue : cette idée de traduire et de faire se croiser les cultures par les langues et les sonorités. Cette couleur jaune est plus qu’un fil, c’est aussi la couleur que prend un port lorsqu’il a jauni, lorsque le temps fait son effet. La mer se déplace contre les briques du port et leur donne cette couleur particulière, celle qui est également offerte comme un cadeau par le soleil dont la lumière teinte les vagues et les pierres. Cette vue offre un sentiment de voyage à notre regard et nos sens sans que nous ne nous soyons déplacés d’un millimètre. C’est l’idée de chaque livre proposé par cette maison d’édition : un déplacement de soi dans l’histoire que l’on découvre, peu importe notre origine ou notre identité. L’album, la capsule, et plus encore le poème peut alors résonner en nous et nous faire découvrir tout un monde.
Et ce qu’il est bon de découvrir… les ogresses ! Car les sorcières par-ci, les sorcières par-là… Il n’y en a toujours que pour les sorcières ! Mais qu’en est-il des ogresses ? Ne voudriez-vous pas en découvrir un peu plus sur ces femmes qui peuvent être si différentes dans chaque culture et dont chaque histoire nous guide vers cette idée émancipatrice de la femme ?
Cette femme encore trop peu connue, ce symbole de force et ce vent de liberté qu’elle représente dans le monde arabe, mais aussi dans d’autres cultures. L’ogresse assume sa sauvagerie, sa liberté, son indépendance et son côté punk. Elle peut tout faire et n’a pas besoin d’être associée à un ogre pour faire de la maçonnerie… Ce Dictionnaire des ogresses, traduit en arabe par Lina Ayoubi, aborde une forme de magie et va creuser au-delà des méfaits de gourmandise bien connus de l’ogresse pour voir ce qui se cache en dessous et existe depuis des lustres. Mo Abbas, faisant suite à son père, a souhaité mettre en avant cette idée alternative d’incarnation de la Nature Sauvage qu’est l’ogresse. Le tout sous les coups de crayon de Lucile Gautier, qui a fait les Beaux Arts de Bruxelles et a relevé ce défi avec brio. Et si vous veniez découvrir les dessins originaux qui ont été pensés dans le cadre de cet ouvrage et qui sont en exposition à la librairie La Grande Ourse ? Gare à vous si une ogresse vient frapper à votre porte pour vous croquer si vous ne venez pas jeter un coup d’œil…
Cet ouvrage faisant partie du noyau que forment les œuvres publiées par Le port a jauni, il en va sans dire que lui aussi est traduit en arabe. Tout comme Poème sucré de mon enfance, vers lequel vous pouvez vous tourner sans hésitation si vous cherchez des dessins aux allures abstraites qui forment un cœur avec les poèmes qui composent l’ouvrage. L’artiste derrière cette traduction de mots illustrés en images ? Frédéric Hainaut qui à la fois illustrateur, infographiste, peintre, enseignant et ancien animateur chez Caméra-etc. Il est le parfait exemple d’une autre conception de la maison d’édition : l’envie de décloisonner les illustrateurs sans avoir besoin de leur coller une étiquette qui dise que l’on doit dessiner de telle ou telle manière. Ce genre d’art permet de se poser la question : est-ce de l’art enfantin ? Est-ce abstrait ? Est-ce de l’art brut ? Et si ça pouvait être tout ça à la fois ? Frédéric a un rapport simple au dessin et le dit lui-même : il se munit d’une feuille et ne s’embarrasse pas de grand-chose. Cette idée de transformer la calligraphie arabe en dessin et de recommencer jusqu’à vingt fois s’il le faut n’est pas un problème mais plutôt un plaisir, une manière d’appréhender l’histoire et de la raconter à travers les traits et les couleurs.
C’est plus qu’un recueil, c’est une expérience d’images mouvantes dans cet apprentissage de la langue française et arabe et qui permet de raconter une histoire d’enfance et d’exil. Pour Frédéric, toute l’idée provient de la directrice éditoriale, Mathilde Chèvre, qui voulait mettre en avant cette histoire vraie d’un berger durant son enfance au Soudan, une histoire qu’Assam Mohamed a raconté avec Elsa Valentin, alors qu’il apprenait à écrire le français. Ce recueil de poèmes, traduit en arabe par Golan Haji, est une référence à l’enfant qui est en nous. Poème sucré de mon enfance c’est la puissance d’un souffle, le maniement de deux langues qui forment ensemble une histoire colorée et poétique. Et si vous tendez l’oreille, peut-être entendrez-vous le cri d’une chèvre ?
Cette table ronde autour des éditions Le port a jauni nous a transmis cette envie de partage, cet apprentissage des langues tel un jeu permettant de former des ouvrages poétiques et sensoriels mais également la passion des rencontres qui créent des recueils, des livres tissés de culture et… de fil jaune.
En remerciement à Anne-Lise Remacle pour la qualité d’animation de cette table ronde.
Louise Ralet, stagiaire à la Grande Ourse
L’expo de Lucile Gautier est visible jusqu’au 25 mai, et vous pourrez retrouver l’illustratrice au Festival La BD au B9 les 27 et 28 avril, et entendre les lectures du dictionnaire des ogresses durant le festival Caravansérail le samedi 25 mai, à 17h au Manège Fonck !
"Et l’éditrice d’insister sur le mot arabe "naquala", correspondant au mot « traduire », qui « évoque le déplacement d’un espace à l’autre, la circulation et le voyage »." Michel Defourny dans un article de la revue Lectures-Cultures de 2019.

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